Influences et convergence

La France et l’Europe

Depuis la fin des années 1990, l’Union européenne tente de se donner des règles communes en matière d’immigration et d’asile. Ces matières sont entrées dans le champ de compétences communautaires par le traité d’Amsterdam, entré en vigueur le 1er Mai 1999. Celui-ci proclame que l’Union européenne doit être « un espace de liberté, de sécurité et de justice dans lequel la libre circulation des personnes est assurée ». La politique de l’immigration et de l’asile est alors instituée comme l’un des trois axes prioritaires de ce nouveau champ de compétences.

Afin d’établir ces normes communautaires, l’Union européenne a élaboré un programme de travail quinquennal, dit « programme de Tampere », qu’est venu remplacer en novembre 2004 le « programme de La Haye » pour la période 2005-2010. À l’origine, ces programmes d’harmonisation des politiques européennes prévoyaient trois axes de travail principaux : l’intégration des immigrés en situation régulière, la protection des demandeurs d’asile et des réfugiés et enfin la lutte contre l’immigration irrégulière et le contrôle aux frontières. Pourtant, dès la fin du programme de Tampere, on constate un recul sur les deux premiers volets. C’est pour le troisième seulement qu’on peut véritablement parler d’avancées : autrement dit, en privilégiant le volet répressif, la France ne fait pas cavalier seul en Europe.

 La communautarisation vers le bas des politiques d’asile et d’intégration

Les volets asile et intégration ont connu une même évolution, qui s’est pareillement déroulée en deux étapes. Dans un premier temps, les ambitions affichées se sont heurtées aux résistances des États membres, dont les capacités d’obstruction ont été démultipliées par la règle de l’unanimité requise pour les décisions. Chaque État membre exigeant que ses dispositions propres soient prises en compte par la norme communautaire, on a abouti à un ensemble de règles minimales qui n’ont pas davantage favorisé les droits des migrants que la convergence des dispositifs nationaux. C’est dans un deuxième temps seulement qu’intervient une forme d’harmonisation — mais a minima. En effet, beaucoup de pays vont s’appuyer sur ces normes peu exigeantes pour justifier un abaissement des protections offertes par leur législation nationale. La scansion des deux temps éclaire le paradoxe d’un véritable renversement : elle permet en effet de comprendre comment on est passé d’une volonté d’harmonisation vers le haut à la réalité d’une harmonisation par le bas.

À cet égard, l’exemple du regroupement familial est particulièrement éloquent. En 2000, la proposition initiale de la Commission européenne était plus libérale que la plupart des législations européennes : elle prenait en compte les couples non mariés, y compris les couples de même sexe, sans condition de ressources ni de logement, et en partant d’une définition inclusive de la famille. En revanche, le texte adopté en 2003 est beaucoup moins ouvert : il concerne seulement la famille nucléaire, il n’y est question que de mariage (autrement dit, en dépit de l’évolution des moeurs et des lois familiales, ne sont prises en compte ni l’union libre ni l’union civile), et les conditions posées sont particulièrement restrictives (avec des critères de ressources et de logement, d’intégration, et d’adaptabilité pour ce qui concerne les enfants âgés de plus de douze ans).

En conséquence, en France, quand les lois Sarkozy i et ii puis la loi Hortefeux ont progressivement restreint le regroupement familial, les ministres se sont référés à cette directive et aux dispositions des autres États membres pour balayer les protestations des associations de soutien aux étrangers, qui accusaient la nouvelle législation de violer le droit de vivre en famille. La France constitue en effet un cas exemplaire d’harmonisation par le bas : en quelques années, ses dispositions en matière de regroupement familial qui comptaient parmi les plus généreuses rivalisent désormais avec les législations les plus rigoureuses d’Europe [1].

Le traitement du droit d’asile fournit un autre exemple de cette évolution. L’objectif du programme de Tampere en la matière était d’harmoniser les différentes procédures nationales pour garantir le « respect absolu du droit de demander asile » grâce à une « application intégrale et globale de la convention de Genève ». Or, force est d’admettre que ce processus d’harmonisation a été plus long que fructueux. On le voit en particulier avec la directive du Conseil en date du 29 avril 2004. Concernant les conditions que doivent remplir les exilés pour obtenir le statut de réfugié, au terme d’un long travail de compromis, elle institue des normes minimales qui n’incitent guère les législations nationales à plus de générosité.

À l’inverse, entre autres restrictions, cette directive introduit même la notion d’« asile interne ». Le principe est d’exclure du droit d’asile les exilés qui pourraient trouver dans leur pays un lieu protégé, géré par des « organisations internationales et des autorités permanentes s’apparentant à un État ». Cette notion apparaît pour la première fois dans un projet de la directive de juin 2002. Or, avant même que cette directive ne soit adoptée, la France a transposé la notion d’asile interne par la loi dite « Villepin » sur le droit d’asile du 10 décembre 2003. C’est ce qu’on pourrait appeler un cas d’harmonisation anticipée, la directive venant justifier la politique qui, avec ou sans elle, allait se mettre en place.

Notes

[1]British Council, Index des politiques d’intégration des migrants, Ined, 2007.