L’implication de la société / 4

une nouvelle action syndicale

« Il y a un marché du travail particulier et important, en France mais aussi dans les pays européens, qui est alimenté par une catégorie particulière de travailleurs, dénués de tous droits, sur laquelle les patrons comptent pour remplir leurs objectifs économiques : les sans-papiers. » [1] Cette analyse est celle de Raymond Chauveau, secrétaire général de l’union locale CGT (Confédération générale du travail) de l’Essonne et fer de lance des mouvements de grève des sans-papiers qu’a connus la région parisienne en 2007 et 2008. La CGT a ainsi pris à contre-pied le gouvernement, qui voulait, dans sa loi du 20 novembre 2007, relancer l’immigration de travail en France.

 L’amendement Lefebvre

En septembre 2007, alors que le Parlement examine la loi Hortefeux sur l’immigration, Frédéric Lefebvre dépose un amendement. Des métiers et des régions en France connaissent des difficultés de recrutement, le député UMP des Hauts-de-Seine propose donc, pour occuper ces emplois, que les préfectures puissent régulariser « à titre exceptionnel » et « au cas par cas » des travailleurs immigrés en situation irrégulière. Cet amendement est adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale. La circulaire du 7 janvier 2008 précise les conditions auxquelles les salariés sans papiers doivent répondre pour bénéficier de cette disposition : ils doivent présenter un engagement ferme d’un employeur pour un contrat d’un an minimum et prouver qu’ils possèdent la qualification ou l’expérience professionnelle pour exercer une activité figurant sur l’une des listes des métiers en tension.

Ces listes ont été établies par le gouvernement fin octobre 2007 dans le cadre de la mise en place de la politique d’immigration choisie. Elles ont été approuvées par le Comité interministériel du contrôle de l’immigration (CICI) le 7 novembre et publiées dans la circulaire du 20 décembre 2007. Deux listes ont été dressées. La première, « en application du principe de préférence communautaire », ne concerne que les ressortissants des nouveaux États membres de l’Union européenne. Elle compte 152 métiers, pour la plupart non qualifiés. La seconde a été établie pour l’emploi des ressortissants des pays tiers. Seuls 29 métiers y sont recensés. Ils demandent globalement plus de qualifications que ceux qui figurent sur la première liste et ils sont également soumis à une variable géographique : seuls six de ces métiers valent pour l’ensemble des régions de France métropolitaine. Cette liste n’est pas ouverte aux ressortissants algériens et tunisiens en raison d’accords bilatéraux déjà signés avec ces deux pays.

Dans la circulaire du 7 janvier 2008, le ministère de l’Immigration demande aux préfets d’étudier avec une « particulière diligence les dossiers qui [leur] auront été signalés par les employeurs eux-mêmes ». Il précise néanmoins que « ce dispositif couvre par définition un nombre très limité de bénéficiaires, la finalité n’étant pas d’engager une opération générale de régularisation ». « En effet les étrangers en situation irrégulière au regard du droit au séjour ont vocation à regagner leur pays d’origine », poursuit le ministère, avant de rappeler « la priorité qu’attache [Brice Hortefeux] à la lutte contre l’emploi illégal des étrangers. »

C’est d’ailleurs pour lutter contre l’emploi d’étrangers en situation irrégulière que, depuis le 1er juillet 2007, le gouvernement oblige les employeurs à vérifier auprès des préfectures l’authenticité des papiers des travailleurs étrangers qu’ils embauchent. Les patrons qui emploieraient des sans-papiers, dès lors, en connaissance de cause, encourent une amende de 15 000 euros et jusqu’à cinq ans de prison. Depuis l’application de cette loi, par peur des contrôles, nombre d’entreprises ont donc licencié leurs salariés en situation irrégulière, souvent sans même les indemniser.

 La mobilisation

Suite à ces différentes circulaires et aux licenciements qu’elles ont provoqués, les associations de défense de sans-papiers, certains syndicats et bon nombre de sans-papiers eux-mêmes ont dénoncé une vision purement utilitariste de l’immigré par le gouvernement. Beaucoup d’étrangers en situation irrégulière travaillent en France, généralement grâce à de faux papiers. La grande majorité d’entre eux a des fiches de paye, cotise donc pour les caisses d’assurance maladie et de retraite, paie des impôts, mais sans pouvoir bénéficier des avantages sociaux que la France garantit aux salariés. En outre, leurs conditions de travail sont souvent très difficiles. Certains employeurs, connaissant leur situation, tirent en effet parti de leur irrégularité pour bafouer le droit du travail : heures supplémentaires non payées, refus d’accorder des congés voire même des pauses, rémunérations inférieures au minimum salarial, temps de travail hebdomadaire supérieur à la durée légale, aucun droit lors des licenciements… Pour Raymond Chauveau, les travailleurs sans papiers « sont la dernière variable d’ajustement social. Le licenciement ne coûte rien. Il n’y a pas besoin de convoquer un comité d’entreprise, on fait appel aux flics et tout le monde doit s’égailler dans la nature. » [2]

Ce syndicaliste s’est donc donné une mission : défendre cette catégorie de salariés. La CGT revendique, pour et avec eux, les mêmes droits que pour tous les travailleurs français. Mais les revendications ne s’arrêtent pas là : le syndicat se prononce « pour la régularisation globale de tous les travailleurs sans papiers, pas seulement par solidarité humanitaire, mais aussi parce qu’il s’agit des racines du combat de la CGT : l’indivisibilité du droit du travail. Tous les travailleurs sont concernés tant qu’une frange du salariat est exploitée » [3], explique Denis Renard, secrétaire général de l’Union départementale de la CGT 92 (Hauts-de-Seine).

La défense des salariés sans papiers ne fait cependant pas l’unanimité auprès de tous les syndicats, ni même parmi les syndiqués CGT. La question de la concurrence que les immigrés sans papiers représenteraient sur le marché du travail pour les salariés français, du fait de salaires moins importants et d’une plus grande flexibilité, reste présente dans l’esprit de beaucoup. Plusieurs études économiques [4] montrent pourtant que le recours à une main-d’oeuvre immigrée n’a aucune incidence négative sur l’emploi, ni sur les salaires, des travailleurs « nationaux ». La concurrence se produisant principalement entre les différentes vagues d’immigration. Pour sa part, Raymond Chauveau éloigne ce débat : « On combat la concurrence en mettant en oeuvre et en développant la solidarité entre les travailleurs par-delà leur statut et leurs conditions » [5], considère-t-il.

Les premiers salariés en situation irrégulière pour lesquels il va s’engager sont ceux de Modeluxe, une blanchisserie industrielle située à Chilly-Mazarin (Essonne). Une lettre avait été envoyée à la préfecture pour dénoncer la présence de 40 sans-papiers dans l’entreprise. Ils ont tous été licenciés. La CGT soupçonne le patron d’avoir lui-même rédigé cette missive. En octobre 2006, Raymond Chauveau organise l’occupation de la blanchisserie. Vingt-deux des salariés licenciés y campent pendant une semaine. Ils obtiendront un titre de séjour, mais pour la plupart, ils ne seront pas réintégrés dans l’entreprise.

C’est ensuite au tour de l’un des restaurants de la chaîne Buffalo Grill d’être investi par ses salariés sans papiers. Le 29 mai 2007, ils sont 26, tous employés dans différentes succursales de l’Essonne, à monter un piquet dans l’établissement de Viry-Châtillon. Pour Raymond Chauveau, la chaîne « a embauché ces salariés en toute connaissance de cause. » [6] La direction de Buffalo Grill répond : « Si nous avions connu leur situation, nous ne les aurions bien sûr pas embauchés, nous sommes victimes dans cette affaire. » [7] Une semaine plus tard, les salariés grévistes étaient une cinquantaine, venus de 18 restaurants de la chaîne [8]. Le 1er juillet, après un mois d’occupation, d’abord d’une partie du restaurant puis du parking, plusieurs salariés sans papiers de Buffalo Grill, en grève ou déjà licenciés, sont expulsés. Quatre jours plus tard, au terme d’une réunion de négociations à la préfecture de l’Essonne, 20 des 51 grévistes sont régularisés. Ils ont été réintroduits dans la société. « Sur proposition de l’administration », Buffalo Grill a versé à l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations (Anaem) une somme qui devait servir à ses anciens salariés non-régularisés pour retourner dans leur pays d’origine.

Suite à ce mouvement et à sa médiatisation, la CGT-Massy (dont Raymond Chauveau est le secrétaire général), a vu affluer de nombreux salariés sans papiers qui souhaitaient adhérer au syndicat. Depuis l’automne 2007, l’Union locale a également fait la démarche d’aller rencontrer les sans-papiers dans les foyers de travailleurs immigrés pour les convaincre de se syndiquer. Au total, ils étaient 400 à avoir leur carte fin février 2008, plus de 600 début avril.

C’est au début de l’année 2008 que les mouvements de grève des travailleurs sans papiers s’intensifient. En février, neuf salariés du restaurant la Grande Armée, situé près de l’Arc de Triomphe à Paris, propriété des frères Costes, occupent l’établissement dans lequel certains d’entre eux travaillent depuis près de dix ans. La CGT affirme que ces salariés n’ont pas de pause-déjeuner et effectuent un grand nombre d’heures supplémentaires sans qu’elles leur soient toujours payées. En outre, lorsqu’ils veulent prendre un mois de congé, ces employés sont contraints de démissionner : à leur retour, « la direction diminue leur salaire pendant deux à trois mois et leur fait signer un nouveau contrat de travail. » [9] L’un des salariés, de nationalité malienne, explique avoir changé de nom « à la demande du patron », ses papiers ayant été refusés par la Sécurité sociale. « Le patron m’a dit : “Tu n’es pas fainéant. Si tu trouves d’autres papiers, je te réembauche. T’as qu’à prendre l’identité de ton frère ou de ton cousin !” » [10]. Après une semaine d’occupation, sept des neufs grévistes ont obtenu un titre de séjour.

 La Grande grève

Le matin du 15 avril 2008, une vingtaine d’ouvriers du bâtiment s’installent sur un chantier du xiiie arrondissement de Paris. Le même jour, huit cuisiniers employés chez Pizza Marzano occupent le restaurant situé dans le ixe arrondissement. Dans le xe arrondissement, ce sont 20 salariés qui investissent l’un des restaurants Chez Papa [11]. À Villejuif, dans le Val-de-Marne, Faf Propreté, siège de l’organisme de formation des entreprises de nettoyage, voit arriver une centaine d’employés sans papiers quand, au même moment, dans l’Essonne, une cinquantaine de travailleurs commence à occuper deux entreprises de nettoyage, dont une filiale de Veolia. En une heure, 18 sites, répartis dans cinq départements de la région parisienne, sont bloqués par près de 300 travailleurs sans papiers en grève. « Il faut bien comprendre ce que ça représente pour eux : ils lâchent tout, le boulot, la clandestinité, sans possibilité de revenir en arrière. Il ne s’agit pas de salaires ou de retraites. Là, c’est la vie du bonhomme qui est en jeu » [12], explique Raymond Chauveau.

Depuis trois mois, le syndicaliste prépare ce mouvement coordonné et simultané dans le plus grand secret. Seuls quelques sans-papiers sont informés et participent à l’élaboration de la grande grève. L’association Droits Devant !! contribue activement, elle aussi, au mouvement. Des dossiers de demandes de régularisation sont notamment constitués et prêts à être déposés en préfecture. Parce que l’opération doit demeurer secrète, même les conversations par téléphone sur le sujet sont bannies. La CGT se méfie des écoutes. Le téléphone portable ne sera utilisé que le 14 avril, veille du mouvement, pour envoyer à tous les grévistes un SMS leur donnant une heure et un lieu de rendez-vous. Cette importante grève surprise n’aurait certainement pas été possible sans la campagne de syndicalisation des travailleurs sans papiers menée dès septembre 2007 par l’union locale de la CGT-Massy.

Le syndicat définit ce mouvement comme un « conflit du travail pur ». « La régularisation n’est pas un but en soi mais un moyen de faire respecter les droits des salariés » [13], déclare Francine Blanche, secrétaire nationale de la CGT. Jean-Claude Amara, porte-parole de l’association Droits Devant !!, défend la même position. c’est pourquoi, au début du mouvement, il estime que Xavier Bertrand, ministre du Travail, doit être « le seul et unique interlocuteur ». « Ce n’est pas une histoire d’immigration, de répression, c’est d’abord une histoire de travailleurs, de droit du travail. Il y a le mot “travailleur” avant le mot “sans papiers” » [14], déclare-t-il.

Une dizaine de syndicats et d’organisations de défense des sans-papiers participent ou soutiennent le mouvement. Outre la CGT et Droits Devant !!, initiateurs de la grève, la FSU, RESF, ATTAC, quelques branches de la CNT et de la CFDT, la Confédération paysanne, entre autres, apportent leur soutien aux salariés.

Le 19 avril, une vingtaine de militants de la CGT et de Droits Devants !! débarquent dans le Café de la Jatte, à Neuilly-sur-Seine, restaurant huppé fréquenté par un certain nombre d’élus, dont Nicolas Sarkozy à l’époque où il habitait et administrait la commune des Hauts-de-Seine. Dix cuisiniers sans papiers du lieu entament alors leur mouvement de grève. M. Peyronnel, l’un des propriétaires du restaurant, interpelle les militants venus soutenir les grévistes : « Vous faites le malheur de ces gens, maintenant je vais devoir les virer, vous êtes des délateurs  ! » [15]. Les cuisiniers du Café de la Jatte ont décidé de se lancer dans le mouvement et de revendiquer leurs droits après avoir vu que les salariés de la Grande Armée avaient obtenu gain de cause. Une décision qui a été payante puisque tous ont obtenu un titre de séjour.

Le lundi 21 avril, une semaine après le début du mouvement de grève, Raymond Chauveau et Francine Blanche sont reçus au ministère de l’Immigration par Thierry Couderc, directeur de cabinet de Brice Hortefeux. Ils sortent de la réunion confiants et annoncent « une première victoire ». Francine Blanche affirme, en effet, avoir reçu l’assurance que les dossiers déposés par les salariés sans papiers grévistes seraient « étudiés positivement » par les préfectures. Le ministère précise qu’il recevra les cinq préfets d’Ile-de-France concernés par la grève — de Paris, des Hauts-de-Seine, du Val-de-Marne, de l’Essonne et de la Seine-Saint-Denis —, « pour que tout le monde soit sur la même longueur d’onde » [16], rapporte Francine Blanche. Elle est confiante : « On est reçus au plus haut niveau et donc pas soumis à l’arbitraire préfectoral » [17], pense-t-elle. Pourtant, dans le même temps, le ministère de l’Immigration déclare à la presse que les demandes de régularisation seront transmises par la CGT aux préfectures auxquelles « il appartiendra de se prononcer au cas par cas » [18]. La veille, Xavier Bertrand, ministre du Travail, renvoyait également aux préfets l’étude « au cas par cas » des dossiers, saluant, par la même occasion, la politique « d’immigration maîtrisée » du gouvernement. La position de Nicolas Sarkozy quant à elle est claire : il a toujours revendiqué son opposition à des opérations de régularisation massive.

Le 23 avril, Brice Hortefeux rejette lui-même cette idée : « J’indique sans aucune ambiguïté qu’il n’y aura aucune opération de régularisation massive. L’Espagne et l’Italie qui l’ont pratiquée il y a quelques années ont d’ailleurs officiellement renoncé à cette politique. » [19] « L’idée [dans ces pays] était de remettre les compteurs à zéro et en réalité cela a fait un appel d’air » [20], ajoute-t-il quelques jours plus tard. « Comment des patrons ou des syndicats peuvent-ils me demander de donner une prime à l’illégalité ? Dois-je laisser sur le bord de la route des étrangers qui ont fait l’effort d’entrer légalement sur le territoire, de satisfaire au parcours d’intégration ? Faut-il sacrifier leurs enfants nés ici ? » [21], s’interroge le ministre. Rappelant que l’examen des situations se fera « au cas par cas », il précise que seules « quelques centaines » de régularisations seront accordées.

 La réaction des syndicats patronaux

La réaction des syndicats patronaux ne se fait pas attendre. Dès le 16 avril, Didier Chenet, président du Synhorcat (Syndicat national des hôteliers, restaurateurs, cafés et traiteurs), syndicat adhérent du Medef et de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPM), deuxième syndicat de l’hôtellerie-restauration, se dit « déterminé à s’engager aux côtés de ses adhérents pour obtenir la régularisation des travailleurs étrangers qui, bien que démunis de papiers, n’en sont pas moins déclarés et employés dans la plus grande transparence ». Avant d’aller plus loin, le 21 avril, en se prononçant pour une « régularisation massive » [22] des salariés sans papiers. « Le cas par cas en l’occurrence n’est pas une solution. Si on régularise au cas par cas et qu’on traîne cela trop longtemps, cela veut dire que les chefs d’entreprises vont devoir licencier, pour nous cela sera un non-sens et une perte économique » [23]. Il affirme que 20 000 postes par an ne seraient pas pourvus dans le secteur de l’hôtellerie-restauration.

Le 17 avril, l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih), principale organisation patronale du secteur, réclame elle aussi la régularisation des salariés sans papiers. Son président, André Daguin, a rencontré, dès le début du mouvement, les chefs de cabinet de Xavier Bertrand et de Brice Hortefeux : « Je leur ai dit qu’à partir du moment où un patron a déclaré son salarié, paye des charges, et dont l’employé paye ses taxes et ses impôts, je ne voyais pas comment on ne pourrait pas régulariser ce salarié, car cela veut dire qu’il a donné satisfaction dans son boulot. » [24] André Daguin estime qu’entre 50 000 et 100 000 régularisations seraient nécessaires à l’économie française. Soit entre 25 et 50% du nombre total d’immigrés en situation irrégulière en France,selon l’estimation basse du ministère de l’Intérieur [25].

De son côté, le Medef préfère ne pas se prononcer : « Le Medef n’a pas de position commune. Le conseil exécutif ne s’est pas réuni sur cette question » [26], répond-on du côté du syndicat des patrons. La Fédération française du bâtiment, secteur pourtant particulièrement touché par les difficultés de recrutement, adopte quant à elle une position sans appel : « On a suffisamment de demandeurs d’emplois en France pour ne pas avoir à recruter des sans-papiers. » [27]

 Une nouvelle vague

La lenteur de l’étude des dossiers par l’administration que craignait Didier Chenet s’est effectivement vérifiée. Fin avril, un millier de demandes de régularisation sont déjà déposées dans les cinq préfectures d’Ile-de-France concernées par la grève. Mais le 6 mai, seuls 22 récépissés de titres de séjour, sur l’ensemble de la région, ont été délivrés. La préfecture des Hauts-de-Seine indique qu’un « petit bug informatique » a retardé le traitement des demandes. Les préfectures semblent totalement désorganisées et n’ont pas adopté, comme le ministère l’avait laissé penser à la CGT, une position commune. « Ça va trop lentement. Les préfectures font n’importe quoi » [28], regrette Francine Blanche. Un mois après les premiers dépôts de dossiers, seuls 70 salariés sans papiers, selon la CGT [29], ont obtenu une régularisation. Le 20 mai 2008, une deuxième vague de blocages simultanés et aussi bien coordonnés que lors de la première « grande grève » est donc lancée. Toujours à l’initiative de la CGT et de Droits Devant !!, 321 salariés occupent 23 sites en région parisienne, essentiellement des entreprises du bâtiment, de nettoyage et de restauration, notamment certains établissements du quartier des Champs-Elysées, à Paris. Au total, on compte 600 à 700 grévistes sans papiers.

La mobilisation est toutefois entachée par une discorde. En effet, depuis le 2 mai, la Coordination 75, un collectif de sans-papiers, occupe non pas une entreprise mais la Bourse du travail, à Paris, le fief du syndicalisme français. Ils sont entre 300 et 600 à vivre dans les locaux jour et nuit. La Coordination menait, au début du mouvement, action commune avec la CGT. Mais le 15 juillet, elle a déposé, indépendamment, 597 dossiers de demandes de régularisation à la préfecture. Les motifs de la rupture diffèrent selon les interlocuteurs. L’un des porte-parole de la Coordination affirme que le collectif n’aurait « pas été informé par la CGT d’un dépôt de dossiers à la préfecture » [30]. Pour Raymond Chauveau, les membres de la Coordination « n’ont pas accepté le postulat de départ, ne trouvant pas logique de soutenir uniquement les travailleurs » [31]. Quant au collectif Uni(e)s contre une immigration jetable, il considère que cette discorde s’explique par un malentendu : « La stratégie syndicale, c’est la grève. Les sans-papiers, eux, ont plutôt l’habitude d’occuper des lieux, comme des églises, ou la Bourse. Et puis on ne peut pas demander à des gens qui bossent au noir de faire grève. Ni aux femmes qui travaillent dans les services à la personne. Elles ne vont pas faire grève toutes seules. » [32]

C’est pourtant parce qu’ils en ont « marre d’occuper des églises et d’avoir peur » [33], et aussi parce qu’ils « contribue [nt] à la société française », comme le dit l’un des grévistes, que les salariés sans papiers ont décidé de se syndiquer et d’entamer le mouvement. Le fait de revendiquer leurs droits avec l’aide de syndicats, auxquels les travailleurs français font généralement appel pour défendre les leurs, a vocation à prouver au gouvernement que non seulement ils sont majoritairement salariés, mais aussi qu’ils sont également intégrés.

Le 1er août 2008, les salariés sans papiers étaient encore 600 à tenir 44 piquets de grève dans la région parisienne. Sur les 1 500 dossiers déposés par la CGT, 750 avaient abouti à une régularisation.

Notes

[1]Causes communes n°55 p.11, décembre 2007.

[2]Idem.

[3]rue89.com, 20 avril 2008.

[4]Voir notamment Immigrants Complementarities and Natives Wages : Evidence from California, National Bureau of Economic Research, mars 2007.

[5]Causes communes, n°55, décembre 2007.

[6]Le Parisien, 30 mai 2007.

[7]Idem.

[8]Voir Madi Diebakaté.

[9]Communiqué CGT.

[10]Libération, 15 février 2008.

[11]Voir Racine Touré, p. 84.

[12]Libération, 1er août 2008.

[13]Reuters, 22 avril 2008.

[14]Le Monde, 20 avril 2008.

[15]rue89.com, 20 avril 2008.

[16]Reuters, 22 avril 2008.

[17]Idem.

[18]AFP, 22 avril 2008.

[19]Le Figaro, 23 avril 2008.

[20]Propos tenus sur France-Inter, le 5 mai 2008.

[21]Le Figaro, 23 avril 2008.

[22]AFP, 22 avril 2008.

[23]Idem.

[24]Libération, 18 avril 2008.

[25]Selon le ministère de l’Intérieur, entre 200 000 et 400 000 immigrés seraient en situation irrégulière sur le territoire français.

[26]Libération, 18 avril 2008.

[27]Idem.

[28]Libération, 21 mai 2008.

[29]Le ministère de l’Immigration annonçait lui, dans un communiqué daté du 16 mai, 132 régularisations.

[30]Libération, 31 juillet 2008.

[31]Idem.

[32]Libération, 6 mai 2008.

[33]Libération, 15 avril 2008.

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