Une grève au Delaville Café

Les drapeaux rouges siglés CGT détonnent un peu dans l’ambiance branchée de ce grand café parisien. Attablés dans un coin, surplombant le reste de la salle, Mady et ses quatre collègues tiennent le piquet de grève. À côté d’eux, sur les banquettes et au bar, des trentenaires sirotent leur cocktail et grignotent des olives. « On a eu beaucoup de soutien de la part des clients », explique Mady, en montrant la pile de signatures recueillies par leur pétition. Sur la table une petite boîte en fer, couverte d’autocollants CGT, recueille les dons de clients ou de serveurs solidaires. C’est leur seule source de revenus depuis le 20 mai 2008, date à laquelle ces salariés sans papiers ont commencé leur grève. Ils travaillent en cuisine, certains sont à la plonge, les autres sont commis et font partie de ce que les journaux ont appelé la « deuxième vague ». « C’est de voir, à la télé, les autres faire la grève. Ça nous a donné l’idée », raconte Mady. « Au début, on n’a pas osé, mais finalement on a discuté et on s’est dit que, si tout le monde était d’accord, on ferait la grève. » À vingt-huit ans, Mady parle pour ses collègues dont le français est un peu hésitant. Leurs histoires se ressemblent. Ils ont tous quitté le Mali pour travailler en France et venir en aide à leur famille. Avec son salaire de plongeur, Makan fait vivre 15 personnes. La famille de Mady et de son cousin Kaïdo en compte 40. « Tous les soirs, il faut faire un repas pour tout ce monde, c’est difficile. C’est pour aider notre famille qu’on est parti, on savait que ça serait dur ici, mais on n’a pas le choix ». Ils vivent chez un oncle ou dorment chez des amis. Certains ont une fiancée ou une femme au Mali, mais la plupart préfèrent rester célibataires : « On a déjà très peu d’argent pour aider la famille, alors ce n’est pas possible d’avoir une autre famille ici », se justifie Makan. Kaïdo est le seul à avoir des enfants, une petite fille âgée de sept ans qu’il n’a pas vue depuis qu’il a quitté le Mali, en 2003. « C’est pour ça qu’on voudrait des papiers, pour pouvoir faire des allers-retours au pays. Le plus dur c’est de ne pas voir sa famille. » C’est aussi pour faire valoir leurs droits qu’ils voudraient des papiers. Ils insistent : « On cotise, on paye les charges, mais quand on est malade, on ne reçoit rien. On doit s’arranger et se remplacer entre nous. » Des représentants de la CGT se relaient dans le restaurant. Avant de commencer la grève, Mady avait appelé le syndicat. Là-bas, on leur a expliqué la marche à suivre et on les a aidés à monter les dossiers de régularisation qu’ils ont déposés à la préfecture. Leur patron a accepté de remplir les promesses d’embauche nécessaires. « Au début, il n’était pas d’accord, mais après il a compris. Il nous soutient, il veut nous garder », assure Mady. Dans les toilettes, une affichette signée de la direction de l’établissement explique aux clients qu’elle n’était pas au courant de la situation de ses salariés sans papiers et s’excuse « de la gêne occasionnée ».

 
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