Abdel Krim Benalouach

« Mon rêve, c’est de tomber là, ici, et de crever devant eux. » Abdel Krim Benalouach a trente-sept ans. Nous sommes au centre de rétention administrative de Vincennes. Abdel Krim est en grève de la faim depuis treize jours.

Algérien, il est arrivé en France il y a huit ans, dans l’espoir de trouver un travail et de construire sa vie ici. Après différents petits boulots, on lui propose de faire des déménagements. Les premiers temps se passent bien, il est payé régulièrement. Il travaille dans les beaux quartiers pour une clientèle huppée, composée d’artistes, de médecins, d’avocats. Mais les relations avec son patron se dégradent. Ses salaires prennent du retard, ne sont jamais complets. Sans autre source de revenus, Abdel Krim doit continuer, même si les dettes de son patron s’accumulent. Au bout de deux ans, la situation n’est plus tenable. Abdel Krim quitte son travail en gardant en gage un camion de déménagement. Il dépose contre son ancien patron un recours au tribunal des prud’hommes de Nanterre. L’audience est fixée au 27 octobre 2008 . En attendant, il continue à faire des déménagements à son compte, et imagine monter sa société s’il parvient à régulariser sa situation. Il réclame à son ancien employeur des retards de salaires qu’il évalue à 30 000€.

Abdel Krim est arrêté le 7 mars lors d’un contrôle routier à Paris. Quand les policiers lui demandent de présenter ses papiers, il décide de ne pas mentir. Il donne son nom, sa date de naissance, sa nationalité, le nom de ses parents. Il est rapidement placé en rétention au centre de Vincennes.

Il pense que les attaches qu’il a développées en France pendant les huit dernières années lui permettront de faire annuler la décision de reconduite à la frontière. Quand il apprend que le tribunal administratif confirme cette décision, il entame une grève de la faim. « Je n’ai plus rien à perdre, dit-il, si j’y passe, je serai un symbole de cette injustice, et peut-être que les autres seront enfin entendus. »

Lors de sa première audience devant le juge des libertés et de la détention, il demande à son avocate de remettre son passeport au tribunal, en guise de bonne foi, pour obtenir une assignation à résidence. Dans sa plaidoirie, son avocate insiste sur la nécessité de sa présence lors du jugement prud’homal : dans cette procédure parole contre parole, il a impérativement besoin d’être identifié par les témoins comme ancien salarié de l’entreprise. Le juge décide pourtant de le maintenir en rétention.

Abdel Krim perd peu à peu tout espoir. Il ne tient que grâce au café et aux cigarettes. Il a des altercations avec des policiers du centre de rétention et a du mal à contenir sa colère.

Un jour, une policière lui dit : « Il faut que vos amis arrêtent de ramener des vêtements. Il y en a trop, il va y avoir une taxe dans l’avion. Sinon il faut trouver du liquide pour payer. C’est la police des frontières qui va s’en occuper, au pire ça ira directement à la poubelle. »

Le 26 mars, les policiers viennent le chercher pour le conduire à l’aéroport. Sur la passerelle de l’avion, il refuse d’embarquer, les policiers le ramènent au centre de rétention.

Le 29 mars, à 6 heures du matin, les policiers entrent sans prévenir dans sa chambre. Il doit rassembler ses affaires en quelques minutes. Il est à nouveau conduit à l’aéroport. Après la fouille, on lui attache les pieds et les mains. Un policier lui dit : « Tu l’ouvres, je t’éclate la gueule et je te scotche. » Derniers mots entendus en France, quelques minutes plus tard il est expulsé vers l’Algérie.

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