Jusqu’en 2005, Micha Kalachian, berger kurde de religion yezidi, vivait avec sa femme, Koubar, et ses deux enfants, Mehdi et Khathchik, dans les montagnes d’Arménie proches de la frontière turque. Micha possédait un troupeau de 500 moutons et pratiquait la transhumance tous les six mois.
Après la chute de l’Union soviétique, sa famille a soutenu le PKK, l’organisation indépendantiste kurde engagée dans une guerre terrible et interminable avec l’armée turque. En 1999, le petit frère de Micha, qui avait décidé de rejoindre la lutte armée, est mort quelque part entre la Turquie et l’Irak. Son père apporte souvent de l’aide aux militants qui traversent les frontières. « En 2004, la police a repéré mon père, et il s’est fait arrêter. Il a été torturé, et il est mort à cause de ses blessures ».
Micha aussi a été plusieurs fois la cible de la police. Six mois après la disparition de son père, le 9 février 2005, il est à nouveau arrêté et interrogé pendant sept jours : qui travaille pour le PKK ? qui leur apporte de l’aide ? Micha est coincé : soit il collabore, soit il continue d’être harcelé. L’exil paraît être la seule solution. Une fois sorti, il se cache pendant sept mois et vend précipitamment son troupeau.
La famille prend l’avion depuis Erevan avec des faux papiers et arrive en France le 15 décembre 2005. Ils font une demande d’asile et sont accueillis dans un centre d’hébergement à Perpignan pendant un an et demi, le temps que leur demande soit examinée. Mais l’Ofpra juge les déclarations de Micha concernant son arrestation imprécises et insuffisamment détaillées. La Commission des recours, pour qui les Kurdes yezidis ne font pas l’objet de discrimination en Arménie, va dans le même sens. La famille reçoit une obligation de quitter le territoire et doit partir du foyer qui les héberge.
Les Kalachian louent à Montpellier une minuscule loge de gardien de quinze mètres carrés pour 400 euros par mois, et Micha travaille au noir sur les chantiers. Le 27 juin 2007, la police l’attend et l’arrête à quelques mètres de son domicile. Le soir, sa femme s’inquiète de ne pas le voir rentrer. Le lendemain matin, à 8 heures, la police sonne chez eux et lui demande de la suivre avec les enfants. Après une heure et demie de garde à vue au poste, toute la famille est transférée au centre de rétention de Toulouse.
Le cinquième jour, Micha passe devant le juge des libertés et de la détention qui lui assigne un interprète russe, une langue qu’il ne parle pas. Les enfants, Mehdi, onze ans, et Khathchik, cinq ans, peinent à comprendre ce qui arrive. C’est l’été, le début des vacances, il fait chaud, mais ils sont enfermés. Ils réclament des glaces, veulent aller à la piscine. Les policiers en uniforme leur font peur.
Le soir, Khathchik pleure et se plaint d’avoir mal à la tête. Le septième jour, alors que l’expulsion est programmée le lendemain, il se met à saigner très abondamment du nez. Le médecin appelé par la Cimade déclare que l’enfant n’est pas en mesure de prendre l’avion. La reconduite à la frontière est annulée.
Plus d’un an après, la famille Kalachian attend de passer devant la cour d’appel de Marseille pour le recours qu’elle a déposé contre l’OQTF. En novembre 2008, Micha commence une grève de la faim avec une dizaine d’autres Kurdes dans son petit appartement pour demander leur régularisation. La police les en déloge. Deux d’entres eux sont expulsés et les autres, dont Micha qui a une procédure en cours, sont relâchés.
Aujourd’hui la famille n’a plus d’attaches en Arménie. La mère, la soeur et le dernier frère de Micha sont partis en Russie, ainsi que la famille de Koubar. « Moi j’ai tout perdu. Mais mes enfants, je veux qu’ils grandissent loin de tout cela, de la guerre. Je ne veux pas qu’on les oblige à choisir leur côté. Je veux qu’ils soient tranquilles », explique Micha.