Au printemps 1999, la France participe à l’opération militaire de l’Otan destinée à empêcher la déportation massive des Albanais du Kosovo. Parmi les victimes de l’épuration ethnique figurent Jusuf et Shpresa Raba, qui sont chassés de leur village et dont la maison est brûlée par les soldats de Slobodan Milosevic.
Après le retrait des forces de Belgrade, les Raba rentrent chez eux et, en dépit des pressions exercées par les extrémistes albanais, ils refusent de participer aux représailles contre leurs voisins serbes. Cette attitude leur vaut d’être harcelés et brutalisés par les nouveaux hommes forts du village. Terrorisés et craignant pour leur vie, les Raba quittent le Kosovo en automne 2001 avec leur fils Qirim, âgé de deux ans, et alors que Shpresa est enceinte.
Arrivés en France clandestinement, ils s’installent à Gray (Haute-Saône), où naissent leurs deux autres enfants, Dashnor et Dashrujé. Inlassablement, les Raba demandent l’asile — en vain. En juin 2006, leurs trois enfants, qui ne parlent que le français, sont scolarisés, Jusuf a reçu une promesse d’embauche, et la famille Raba tente encore d’obtenir la régularisation dans le cadre de la circulaire Sarkozy.
Cette fois, ils ne seront pas seulement déboutés : le 16 novembre 2006, il sont arrêtés à leur domicile et placés en rétention à Lyon. Le 2 décembre, après dix-sept jours d’enfermement, une première tentative d’embarquement se solde par un échec. Conduits à Toulouse, les Raba sont expulsés le 6 décembre.
Dans l’avion, spécialement affrété par le ministère de l’Intérieur, qui les ramène au Kosovo, pas moins de dix policiers français les entourent. Revenus dans le village qu’ils avaient fui cinq ans plus tôt, les Raba vivent reclus, isolés et surtout habités par la peur de voir ressurgir les brutes dont ils se croyaient délivrés. C’est RESF, avec qui ils ont gardé contact, qui assure leur survie matérielle en leur envoyant régulièrement de l’argent. Mais les conditions de vie sont intenables pour la famille, et les enfants se sentent perdus dans ce pays qu’ils ne connaissent pas. N’ayant jamais abandonné l’espoir de revenir en France, les Raba y parviennent en avril 2007.
Ils sont accueillis, à Lyon, par des membres de RESF. La famille est hébergée et cachée. La mobilisation autour d’elle est considérable. Outre les associations, de nombreux anonymes manifestent leur soutien mais également des personnalités artistiques ou politiques, telles que Jack Lang, Christiane Taubira ou Dominique Voynet. Quelques jours après le premier tour de l’élection présidentielle, la réaction du ministère de l’Intérieur à ce retour est sans appel : « Ces personnes sont en situation illégale sur le territoire, elles n’ont pas vocation à y rester. » [1]
Lorsque la famille Raba se rend à l’annexe de la préfecture du Rhône, accompagnée notamment de deux sénateurs, pour déposer un nouveau dossier de demande d’asile auprès de l’Ofpra, l’administration lui accorde un laissez-passer d’une semaine et reporte le dépôt de dossier. De même, la semaine suivante, après que Jusuf et Shpresa ont été longuement interrogés sur les conditions de leur retour en France. Ils n’obtiendront une autorisation provisoire de séjour et le dossier attendu que le 15 mai. Toutefois, le 24 août, leur nouvelle demande d’asile est rejetée.
En septembre 2007, Shpresa et Jusuf ont fait appel auprès de la Commission des recours des réfugiés. En novembre 2008, ils n’avaient toujours pas obtenu de réponse.
photo : Christophe Quirion
[1]Libération, 27 avril 2007.