Lorsqu’il arrive en France en 2002 avec sa femme et ses cinq enfants, Ferzende Tastan espère ne plus jamais connaître la prison. Kurde, il est soupçonné par les autorités turques d’être membre du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan, chose qu’il a toujours niée. Il a déjà passé dix-neuf mois en prison et subi violences et brimades. Sitôt sa peine effectuée, il a été condamné par contumace à douze ans de réclusion pour son appartenance présumée au mouvement séparatiste.
Établi à Marseille, il demande l’asile en 2003 et 2004 auprès de l’Ofpra. Il est débouté alors même que les autorités turques accroissent la répression contre la population kurde.
En 2006, Ferzende est arrêté une première fois, sur son lieu de travail, lors d’un contrôle de l’Urssaf. Placé en rétention, il est rapidement relâché.
Le 28 février 2007, c’est son fils aîné, Sedat, qui est interpellé lors d’un contrôle routier. Il est placé en rétention. Au bout de quelques jours, il entame une grève de la faim avec six autres jeunes kurdes du centre de rétention du Canet. Les 13 et 16 mars, Sedat subit deux tentatives d’expulsion depuis l’aéroport de Marignane sur des vols Air France. Il est entravé aux pieds et aux mains, ses cris attirent l’attention des passagers. Les nombreuses protestations contraignent l’équipage à le débarquer. À sa descente d’avion, il est passé à tabac par son escorte policière, ce qui fait l’objet d’une plainte en cours d’instruction. Il retourne en rétention.
Le 17 mars 2007, lors d’une manifestation devant le centre de rétention, Ferzende s’asperge d’essence et tente de s’immoler par le feu. Il en est empêché in extremis.
Sedat est conduit à Paris par un vol spécial pour être expulsé depuis l’aéroport d’Orly, afin de le couper de la forte mobilisation qui s’organise autour de lui. Mais quatre militantes de RESF Marseille prennent un avion pour Paris et sont rejointes, à Orly, par les membres du Réseau d’Île-de-France. Le groupe parvient à convaincre les passagers de s’opposer à cette expulsion et fait à nouveau échouer la tentative de reconduite à la frontière.
Sedat est traduit devant le tribunal de grande instance de Bobigny pour son refus d’embarquement. L’infraction est reconnue par le tribunal, mais son avocate obtient un ajournement de la peine et sa libération. Son procès est successivement reporté au mois de septembre 2007 puis au mois de mars 2008.
Le 24 octobre 2007, Sedat, accompagné de quatre militants de RESF, se rend à la préfecture de Marseille pour déposer une demande de titre de séjour. Deux policiers constatent qu’il est toujours sous le coup d’un arrêté de reconduite à la frontière et décident de l’interpeller. Ses soutiens s’interposent, ils sont également arrêtés et placés en garde à vue.
Sedat retourne au centre de rétention du Canet. Quelques jours plus tard, la cour d’appel ordonne sa remise en liberté au motif que les circonstances de son arrestation étaient « déloyales ».
Pourtant le calvaire de la famille ne s’arrête pas là. Le 24 novembre 2007, Ferzende, le père, est interpellé à son tour lors d’un contrôle de routine. Placé en rétention, il est transféré à Lyon, le 10 décembre, pour être expulsé par un avion d’une compagnie turque. Comme son fils, il résiste à son expulsion. Il est poursuivi pour refus d’embarquement.
Jugé en comparution immédiate, il invoque l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit la protection des personnes exposées à des traitements inhumains ou dégradants. Il est condamné le 21 décembre 2007 à trois mois d’emprisonnement et à trois ans d’interdiction du territoire français. L’expulsion l’attend à sa sortie de prison.
Ironie du sort, c’est grâce à des médias turcs qui saluent alors le « geste » des autorités françaises dans leur tentative d’expulsion d’un des « leaders européens du PKK » que la situation de la famille Tastan trouve une fin heureuse. Un recours gracieux de Ferzende auprès du directeur de l’Ofpra est finalement accepté, sur la base de ces éléments, moins de deux semaines après sa condamnation et son incarcération. Il obtient le statut de réfugié politique.
C’est depuis sa prison que Ferzende Tastan apprend que l’administration reconnaît qu’il risquait effectivement d’être persécuté en cas de retour dans son pays. Il est pourtant contraint d’effectuer sa peine jusqu’à son terme. Il est libéré le 19 février 2008.
Sedat est convoqué une nouvelle fois à l’Ofpra et obtient l’asile quelques jours avant son procès pour refus d’embarquement. Lors de l’audience, la juge le dispense de peine.
La famille Tastan a ainsi vécu près de deux ans au rythme des arrestations, des placements en rétention, des tentatives d’expulsion, des incarcérations. Ces deux années de combat leur laissent un goût amer et le sentiment d’un immense gâchis. Dès leur première demande d’asile, près de cinq ans auparavant, ils avaient fait valoir les faits qui ont finalement permis leur régularisation.