Otto et sa femme, Maria, sont roumains. Lui appartient à la minorité hongroise de Roumanie, qui a fait l’objet de discriminations pendant le règne des Ceaucescu, et dont la situation a encore empiré au début des années 1990. En Roumanie, Otto et Maria vivaient à Satu-Mare, près de la frontière hongroise, dans des conditions très difficiles. En 1998, ils décident de venir en France, l’un après l’autre et en s’endettant pour acheter les visas nécessaires. En tant que sans-papiers, Otto et Maria ne trouvent d’abord que des emplois précaires et peu rémunérés. Dépourvus de l’argent nécessaire à la location d’un logement, ils vivent dans un squat. En décembre 2001, l’aîné de leurs trois enfants les rejoint grâce à un visa qui leur a coûté 2 500 dollars. Amère ironie du sort : c’est en 2002 que les Roumains obtiendront le droit de voyager sans visa dans l’ensemble des pays de l’espace Schengen…
2002 demeure une année sombre dans la mémoire du couple : c’est en effet cette année-là qu’Otto se découvre atteint d’une hépatite C. Il engage alors un suivi médical régulier et contraignant dont il ne pourrait pas bénéficier en Roumanie. Pour cette raison, et grâce au soutien de ses médecins, il obtient un titre de séjour pour raison médicale. Mais son état de santé se dégrade sérieusement et ne lui permet plus de travailler. Maria parvient à obtenir des titres de séjour en tant qu’accompagnatrice de malade. Aussi précaires que soient ces titres, ils l’autorisent à travailler. Parallèlement, leurs deux derniers enfants viennent les rejoindre. Grâce au salaire de Maria et à l’allocation adulte handicapé d’Otto, la famille obtient un logement. Mais cette embellie est de courte durée : en 2006, la préfecture refuse de renouveler le titre de séjour de Maria, considérant que sa présence n’est pas indispensable au suivi médical de son mari. Elle forme un recours contre cette décision qui lui paraît d’autant plus paradoxale que l’état de santé de son mari ne cesse de se dégrader. Otto est en effet contraint de se soumettre à un traitement anti-rétroviral éprouvant. Maria n’ayant plus l’autorisation de travailler, la famille n’a plus d’autres ressources que l’allocation adulte handicapé, les allocations familiales et l’aide au logement, soit un montant total d’un millier d’euros.
En 2007, Otto demande le renouvellement de son titre de séjour. L’agent au guichet de la préfecture l’informe que, la Roumanie faisant désormais partie de l’Union européenne, il devrait pouvoir bénéficier d’un titre de longue durée. Une convocation lui est donc remise pour le 13 septembre. Cependant, lorsqu’Otto se rend à la préfecture, le chef de bureau lui annonce qu’il ne peut donner suite à sa demande. En effet, les dispositions encadrant le séjour des communautaires sont muettes sur la situation des malades. Pour pouvoir bénéficier d’un titre de séjour, explique-t-on à Otto, il faudrait qu’il trouve un emploi dans la liste des métiers ouverts aux Roumains. Son incapacité, pourtant reconnue par la maison départementale des personnes handicapées, n’est pas prise en compte. De ce refus de renouvellement découle une suppression des dernières ressources de la famille. Ils ne parviennent désormais à vivre que grâce au soutien financier de leur fils aîné, titulaire d’une carte de résident, et à leurs maigres économies.
Otto sollicite l’aide d’associations pour recouvrer ses droits. La Cimade et le Comede défendent son cas auprès de la préfecture et du ministère de l’Immigration. Leur intervention se révèle fructueuse : en 2008, Otto obtient une carte de séjour en tant que « travailleur ». Toutefois, quand il vient demander la délivrance d’une carte similaire pour sa femme, la préfecture lui rétorque que, puisqu’il ne travaille pas réellement, sa femme ne peut se prévaloir des dispositions relatives aux conjoints des titulaires d’une carte de « travailleurs communautaires ».
Autrement dit, seul Otto, qui ne peut physiquement travailler, est régularisé au titre du travail. Sans se décourager, le couple saisit à nouveau le ministère. C’est en novembre 2008 qu’ils apprendront qu’une carte de résident de longue durée leur sera bientôt délivrée.